Un pensionnat pour des enfants jugés "en difficulté" c'est ce qu'il y avait marqué sur la grande porte...mais je me suis vite rendue compte qu'il n'y avait pas seulement des enfants largués au niveau scolaire, on y mettait aussi des orphelins, comme moi, par exemple. Mais dire que j'étais en difficulté était un peu exagéré. J'avais l'impression de me retrouver cher Oliver Twist, toute l'ambiance s'y prêtait. Mes congénères étaient loin d'avoir la gentillesse de ce petit orphelin de fiction. Déjà qu'ils n'étaient pas tendres...mais ceux de Belfast étaient pires. Pendant mes premières années, j'ai véritablement vécu l'enfer. Avant d'arriver dans cet internat, il ne me serait jamais venu à l'esprit de me "battre". Donc forcément...j'ai passé les trois premières années en soumise. Mon corps et mon esprit avaient gravement souffert. Il allait falloir que je réagisse, ces maudits gamins sauvages allaient finir par m'expédier dans la tombe. Vous me direz, j'ai plus vraiment de raisons de vivre étant donné que j'ai tout perdu. Parfois il m'arrive encore de me demander comment j'ai pu réussir à me raccrocher à cette vie minable. Elle a basculé durant toutes ces années, ça ne fait aucun doute. Mon caractère et mon comportement ont énormément changé. Mon apparence physique n'a pas beaucoup changé, mais mon regard autrefois si doux, s'est transformé en un regard dur et froid. Je suis en effet devenue très violente parce que je n'avais comme qui dirait pas le choix. C'était de la légitime défense, rien de plus. Sauf qu'à force de me défendre, j'ai commencé à m'y croire de plus en plus, et avait fini par me mettre à martyriser également les autres enfants. Avant j'étais une petite fille normale, qui aimait s'amuser, qui profitait de la vie, souriante, aimable et sociable. Durant mes années à Belfast, je suis devenue une vraie petite garce, mais de toute façon on est tous comme ça ici : bagarreur et impulsif étaient les traits de caractère qui revenaient le plus souvent pour les enfants du pensionnat, et je n'échappais pas à cette règle. Je me rappellerais toujours de l'arrivée de Daniel O'Shields parmi nous. C'était au cours de l'année 2001 il me semble...Comme ils l'avaient fait pour moi, les sauvages de l'internat s'en prirent à lui. Mais pas moi. La raison ? Il me rappelait quelqu'un. Il avait les mêmes cheveux, la même allure. Et les yeux clairs...c'était lui, ça ne faisait aucun doute ! Oliver, mon ancien petit fiancé. Je ne sais pas si ça a suffit à ce que je prenne sa défense. Ce n'était pas parce qu'il était faible, c'était seulement à cause de sa ressemblance avec Oliver. Mais il s'appelait Daniel. Et ce n'était pas Oliver...ce dernier avait les yeux verts et Danny les avaient bleus. Étrangement je me suis quand même attachée à ce petit blond, on était comme un frère et une sœur. Quand on lui faisait du mal je me montrais encore plus hargneuse que d'ordinaire.

Un jour, je l'ai emmené avec moi faire le mur. Sauf qu'à notre retour, on a bien dégusté malheureusement. J'avais pourtant tout prévu pour notre discrétion...on nous avait balancé, très certainement. A cause de moi, Danny en a eu pour son grade et est sorti de la salle de punition le dos meurtri par plus d'une dizaine de coups de martinet. Moi aussi à vrai dire, mais ce n'était pas la première fois. En arpentant les couloirs une nuit, seule, j'ai entendu une bande de gamins qui parlait...de nous, Danny et moi. Ça m'a intriguée, alors j'ai écouté. Ils parlaient de nous parce que c'était eux qui nous avaient balancés. Oh les sales enflures...j'avais reconnu l'un d'eux, je l'avais cogné une fois pour avoir insulté Daniel. Sauf que cette fois-ci, il allait encore plus morfler, ça c'était clair ! Le lendemain j'ai voulu aller prévenir Nyny pour qu'on mette au point une vengeance...sauf qu'il n'était plus là ! Son lit était fait correctement, comme si il n'y avait jamais dormi. Les autres garçons de sa chambre m'ont alors mise au courant que Danny était reparti le matin très tôt. Alors qu'on pensait que personne ne pourrait plus nous séparer ! You jump I jump, right ? Tout ça c'était fini. Les raisons de son départ n'avaient jamais été révélées aux autres gamins du pensionnat. I compris moi alors que j'étais sa seule amie. Cette révélation m'avait mise hors de moi. Pourtant il allait bien falloir que je m'y fasse. Quelques mois plus tard je n'y pensais même plus. Le jour de mes treize ans, quelqu'un me demanda au parloir. Par quel miracle ! C'était Rose ! La petite fille aux cheveux de boucles orangées se tenait devant moi. Elle avait l'air maladive et faible. En fait elle était venue toute seule du Connemara, jusqu'à Belfast. J'ai supplié qu'on la fasse soigner, puis elle m'a avouée toute la vérité, son père le lui avait dit. Cette fille n'était pas qu'une simple amie, c'était ma sœur. Et l'homme grand et brun qui était venu la chercher un jour, c'était mon père, qui m'avait lâchement abandonnée. Et la mère de Rose qui était morte après l'accouchement, c'était aussi ma mère...et c'est moi qui était responsable de sa mort. A cet instant je m'en suis énormément voulue, je n'aurais voulu que le bonheur de Rose et moi...mais avec ce terrible aveu...je ne pouvais plus la regarder en face. J'ai essayé d'oublier, de l'oublier, elle, la mort de ma mère, l'abandon de mon père, et puis Danny, en clair j'ai essayé d'oublier toute trace de ma vraie famille et de tout ce à quoi j'aurais pu encore me rattacher. En clair j'avais de nouveau tout perdu...